Fabienne Broucaret vendredi 30 octobre 2015  ,Marie France Novembre 2015, N° 243

A l’occasion d’octobre rose, nous avons rencontré cinq femmes qui ont décidé de raconter leur cancer de manière décalée. Des partages d’expériences jamais larmoyants, et même souvent drôles.
 
Ma mère passe des coups de fil pour informer ses amies de ce qui m’arrive, se souvient Charlotte Fouilleron dans On ne meurt pas comme ça. Je l’entends leur expliquer que j’ai un gros ennui de santé. L’expression me fait tiquer

[…] Je ne supporte pas ces précautions verbales qui masquent la réalité. Celles-là mêmes qui justifient l’emploi d’une autre formule dès lors qu’on parle du cancer : décédé des suites d’une longue maladie. […] On escamote les mots, mais tout le monde doit comprendre de quoi il s’agit. à croire qu’il y a un risque de contagion si on appelle un chat un chat. Comment imaginer qu’on puisse évoquer normalement cette maladie si on n’arrive même pas à la nommer ? S’y efforcer serait déjà un début. Moi, en tout cas, si j’en meurs, je ne veux pas de ces euphémismes. Je ne serais pas décédée d’une longue maladie, mais morte d’un cancer. Rien d’autre. Tant pis si les gens claquent des dents en l’apprenant. » Vous voilà prévenus.

Une parole libérée
Comme Charlotte Fouilleron, de plus en plus de femmes prennent la plume pour parler sans pincettes de leur crabe. Chacune à sa manière, selon son vécu et sa personnalité. Si elles ne font pas l’impasse sur les petits et les grands maux du quotidien, elles nous montrent surtout qu’il est possible de continuer à vivre malgré la maladie et les traitements. « Il y a encore quinze, vingt ans, le mot cancer était synonyme de mort, rappelle le sociologue Philippe Bataille. Peu de malades osaient rompre le silence. Aujourd’hui, ils sont passés du statut de témoin à celui d’acteur. Leur parole s’est libérée, notamment grâce à des initiatives comme Rose magazine, aux associations spécialisées et, plus largement, à Internet qui a permis de créer une communauté solidaire et altruiste. Les femmes sont pionnières en la matière. » La preuve avec le succès de « La Chaîne rose », un site de partage de témoignages autour du cancer qui fête ce mois-ci ses 3 ans, ou encore avec la multiplication des blogs lancés par des patientes.

Oser rire de son cancer
« Leurs récits contribuent à changer les représentations sociales associées au cancer et sont vecteurs d’espoir en mettant l’accent sur la guérison, commente Philippe Bataille, directeur d’études à l’école des hautes études en sciences sociales. Ils regorgent d’informations pour les autres malades et leurs proches, mais aussi pour les équipes médicales. Le plus frappant ? La cohabitation de thèmes lourds et d’anecdotes plus légères. L’humour aussi y est omniprésent. Quand tout va mal, savoir faire preuve d’autodérision est une force qui aide à remonter la pente. » En lisant les ouvrages de nos cinq témoins, tous sortis cette année, on s’est en effet surpris à sourire, à rire même. Et ça, ce n’était pas gagné d’avance.

« Dédramatiser mon cancer du sein »  

Lili Sohn, 31 ans, est l’auteure du blog « Tchao Günther » et des livres « La guerre des tétons » où elle parle de son combat contre le cancer avec humour. Nous l’avons rencontrée à l’occasion d’Octobre Rose.

Lili Sohn, 31 ans, auteure de La Guerre des tétons 1 : Invasion et La Guerre des tétons 2 : Extermination (éd. Michel Lafon) et du blog tchaogunther.com

« J’ai été diagnostiquée d’un cancer  du sein en février 2014, à 29 ans. J’étais alors expatriée à Montréal. Afin de tenir  mes proches informés et d’extérioriser mes émotions, j’ai décidé d’ouvrir un blog. J’y raconte en dessins mon expérience, mes découvertes et mes interactions avec le milieu médical. Dessiner m’a permis de dédramatiser mon quotidien, sans pour autant banaliser ou édulcorer la maladie. Cela m’a aussi occupé l’esprit pendant les traitements. C’était une manière de continuer à être active et de sortir de ma solitude. Dans les livres inspirés par mon blog, j’ai pris un peu de recul tout en restant sur un ton humoristique. Avoir un cancer, oui, c’est dramatique, mais on n’est pas obligé de le vivre comme tel. En rire fait un bien fou ! »
Notre avis. Sûrement le livre le plus pédagogique. Grâce à son efficace coup de crayon, Lili permet de mieux comprendre les examens ou encore les traitements. Sans pitié, mais avec de la couleur et des paillettes.

« Parler du cancer sans pathos »

Charlotte Fouilleron, 44 ans, auteure de On ne meurt pas comme ça (éd. Max Milo).
« Quand j’ai appris que j’avais un cancer du côlon, j’ai eu peur de mourir. Heureusement, je n’ai pas eu le cancer triste très longtemps ! Pendant les mois qu’ont duré les opérations et la chimiothérapie, j’ai noté mes ressentis, des détails, des anecdotes, dans un journal de bord. Mais mon livre dépasse le strict cadre de la maladie. J’y raconte autant ma guérison que ma quête du grand amour. Je le vois comme la chronique de la vie d’une célibataire qui continue à vivre, à se faire belle et à croire au bonheur malgré son cancer “de vieux” diagnostiqué à 37 ans ! J’ai voulu en parler sans pathos, mais avec de l’autodérision et de l’espoir. C’est important pour moi de véhiculer le message que c’est une maladie dont on guérit. On en parle toujours d’une façon très compassée et mélodramatique, c’est agaçant. Même pendant les traitements, la vie reste aussi drôle qu’avant ! »
Notre avis. Si vous aimez la « chick lit », vous allez adorer ce récit à l’humour décapant. On y parle de cancer, mais pas seulement. Et c’est là tout son intérêt. Avis aux romantiques, la fin devrait vous plaire…

« Donner de l’empathie aux patientes »

 

Caroline Cotinaud, 62 ans, auteure de Un cancer et alors ? (éd. du Rocher).
« J’ai décidé d’écrire mon livre dès le diagnostic de mon cancer du sein en me rendant compte à quel point on manque d’informations concrètes quand on arrive dans ce territoire inconnu et anxiogène. En racontant avec humour mon expérience, j’ai voulu expliquer de l’intérieur les différentes phases des traitements, les effets secondaires, le vocabulaire médical… Je trouve que cela aide beaucoup de savoir dans quoi on met les pieds. Mon souci permanent ? Ne surtout pas affoler et considérer cette maladie comme une pathologie répandue dont on guérit. Il était aussi important pour moi de donner beaucoup de tendresse, d’empathie et d’énergie aux femmes traversant la même épreuve. Mon livre est comme une main qui leur est tendue. »
Notre avis. Caroline, c’est la grande sœur qui vous réconforte, qui vous redonne la patate et vous file ses bons tuyaux. Le tout avec un franc parler appréciable. Mention spéciale pour ses listes, comme le florilège des “phrases à la con” et les personnes à fuir absolument.

 

« Vivre avec un cancer, ce n’est pas rose ! »

Manuela Wyler, 55 ans, auteure de Fuck my cancer (éd. Fayard) et du blog fuckmycancer.fr
« J’ai écrit mon premier post sur mon cancer du sein une semaine après le diagnostic. J’avais alors un blog de cuisine mais je n’arrivais pas à parler d’autre chose. J’ai de suite adopté un ton décalé en donnant la parole à mes tumeurs. à tel point que les gens ont d’abord cru que c’était une fiction ! En parler avec humour me permettait de me distancier des événements et de les intégrer. écrire me faisait aussi du bien, comme une thérapie. J’ai toujours tenu à décrire la réalité sans esquiver les difficultés : les soucis de cicatrisation,la déchéance physique, l’apprivoisement du corps abîmé… Vivre avec un cancer, ce n’est pas rose ! Mon blog, puis mon livre, m’ont aussi permis de pousser des coups de gueule contre l’administration de la santé. J’y raconte, par exemple, ce qui m’a exaspérée, comme le manque de considération de certains soignants. Beaucoup de patients subissent sans rien dire, moi j’en ai parlé dans le but d’améliorer les choses. Et ma parole a été prise en compte puisque j’ai pu échanger, entre autres, avec les équipes du Centre Léon-Bérard dans lequel j’ai été bien soignée. »
Notre avis. Manuela se décrit volontiers comme une patiente indocile et peu conciliante. C’est justement ce qui fait son charme. Ajoutez à cela une écriture affûtée et un humour acerbe, vous verrez, vous ne lui résisterez pas très longtemps.

« Pour une médecine à visage humain »

Alain Toledano, oncologue radiothérapeute à l’Institut de cancérologie Hartmann et à l’Hôpital Américain de Paris, et Alice Mendes-Lucas, l’une de ses patientes, ont coécrit Le cancer, le médecin et la funambule (éd. Marabout). Ils nous expliquent pourquoi.

« Quand j’annonce à une femme qu’elle a un cancer avec des métastases, une fois sortie de mon cabinet, elle va se sentir seule et plonger dans l’inconnu. Sa meilleure amie ne sera pas toujours une bonne confidente, sa mère sera encore plus sous le choc qu’elle, son conjoint ne saura pas forcément quoi dire, les informations trouvées sur Internet ne seront pas adaptées à son cas… J’ai écrit ce livre pour être utile à un maximum de patientes à un moment où la souffrance a du mal à être gérée. L’idée est de leur redonner des perspectives, de les empêcher de céder à l’immédiateté et de les aider à trouver leurs propres ressources pour se reconstruire. à chaque étape du récit d’Alice, j’apporte mon regard d’oncologue. Nous avons échangé, confronté nos idées, partagé nos expériences… Ce livre est la preuve qu’un dialogue transparent et ouvert entre un médecin et sa patiente est possible. Je le vois comme un plaidoyer en faveur d’un système de soin davantage personnalisé et humain. »

Alice Mendes-Lucas, 56 ans : « L’exigence d’une médecine à visage humain »
« Notre livre est un vrai dialogue entre une patiente et son médecin. Nous avons voulu désacraliser cette relation trop souvent réduite à celui qui détient le savoir et celui qui subit. Notre objectif est vraiment de rendre le patient actif et de lui faire prendre conscience qu’une partie de l’histoire dépend de lui. Dès le diagnostic de mon cancer du sein en 2012, j’ai absolument tenu à ne pas subir. J’ai questionné les traitements, posé beaucoup de questions, refusé la chimiothérapie avant de l’accepter après dix jours de réflexion… J’avais besoin de comprendre pour pouvoir m’engager activement dans le processus de soins en connaissance de cause. J’avais aussi l’exigence d’une médecine à visage humain. J’ai retranscrit mon cheminement, mes doutes et mes interrogations dans ce livre. Il était notamment important pour moi de démystifier la chimio. Bien sûr, c’est terrible, mais les représentations qu’on en a sont souvent pires que la réalité. Personnellement, j’étais persuadée que je n’y survivrais pas ! Or, la vie continue, même pendant les traitements. »
Notre avis. On aurait pu se sentir exclu de cet échange épistolaire entre une patiente et son médecin, mais il n’en est rien. Au contraire, ce dialogue pousse à la réflexion et même à l’introspection.

« Je n’ai pas vécu mon cancer du sein comme une fatalité »

Sonia Bellouti publie aujourd’hui « Les tétons flingueurs : Le cancer, ça change la vie » (1). Un témoignage drôle, utile et positif.

Quand elle parle de son cancer du sein, Sonia Bellouti ne s’apitoie pas sur son sort. Bien au contraire. « J’ai traversé comme j’ai pu cette aventure qui m’a fait grandir dans la douleur et connaître d’autres formes de joies, raconte-t-elle. J’ai décidé d’écrire mon livre en utilisant un ton amical, celui des confidences entre copines. »

Dans « Les tétons flingueurs » (1), préfacé par Anne Ghesquière et postfacé par Marlène Schiappa, elle partage son expérience avec humour, mais aussi ses bons conseils pour mieux vivre la maladie et soulager les effets secondaires des traitements. Naturopathie, homéopathie, médecine chinoise, activité physique, bonne alimentation… En bref, tout ce qui l’a aidée, elle, à surmonter cette épreuve. Elle évoque également des sujets d’habitude peu abordés, voire esquivés, comme la sexualité ou l’angoisse post-traitements.

Son but ? Rassurer, donner de la force et de l’espoir. « Nous vivons toutes la maladie de manière différente, mais je suis persuadée qu’on peut choisir la manière dont on la vit, estime cette quadra. Personnellement, je n’ai pas vécu mon cancer du sein comme une fatalité. Il m’a même permis de me recentrer sur l’essentiel. »