Quand le cancer a été tenu à distance, faire le projet d’une naissance est possible.

Mais préserver la fertilité demande des techniques innovantes. La Belgique est à la pointe mondiale.

Une plate-forme internet pour tout dire aux patientes atteintes d’un cancer du sein sur la préservation de la fertilité, c’est ce qu’ont créé des spécialises de toutes les universités du pays actives dans la fécondation assistée. Son nom : « Family Hope », l’espoir d’une famille. Pourquoi ? Parce qu’au moins 500 femmes par an à qui on diagnostique un cancer du sein ont moins de 40 ans, un âge où l’on peut encore parfaitement envisager d’avoir un enfant. Durant de longues années, on conseillait carrément aux femmes d’avorter lorsqu’elles avaient subi un cancer du sein, parce qu’on pensait que les hormones de la grossesse pouvaient doper une récidive. Ou que la toxicité des chimiothérapies pouvait avoir endommagé les cellules reproductives. Cette vision n’est plus celle d’aujourd’hui, notamment parce que de nombreuses études ont démontré que le risque de rechute n’était pas plus élevé pour ces femmes enceintes ayant subi un traitement contre le cancer que pour les autres.

En 2011, une méta-analyse a confirmé que les hormones de grossesse ne sont pas susceptibles de provoquer une récidive de la maladie. Mais, dans les cabinets, cette idée très répandue continue à circuler : de nombreux médecins aujourd’hui encore, de bonne foi, continuent à mettre les femmes en garde contre une grossesse postcancer.

C’est pour lutter contre ces idées reçues et ces messages contradictoires, mais aussi pour que patientes et proches puissent avoir accès à une information claire, objective et mise à jour sur les effets des traitements de type chimiothérapie et les possibilités de préserver leur fertilité, que des spécialistes ont créé cette plate-forme.

« Nous savons que beaucoup de femmes subissent d’abord le traumatisme de l’annonce de la maladie. Et que la préservation de la fertilité n’est pas souvent le premier sujet abordé, face à l’urgence du traitement. Mais il est pourtant essentiel d’en parler tôt, car le temps compte à ce moment-là et il est essentiel que les femmes concernées puissent recevoir une information complète pour faire un choix éclairé », souligne le Docteur Isabelle Demeestere, chercheur qualifié FNRS, responsable du programme de préservation de la fertilité à l’hôpital Erasme.

Ce qui explique qu’  « aujourd’hui, plus de 50% des demandes pour un tel programme proviennent de femmes souffrant d’un cancer du sein ». Les grands centres de cancérologie se sont donc associés aux centres de procréation médicalement assistée pour développer des projets et des protocoles spécifiques pour préserver la fertilité de leurs patientes, comme la cryopréservation d’ovocytes, d’embryons ou de tissu ovarien.

 

Prélever du tissu ovarien

« Nous proposons plusieurs techniques, selon le profil de la patiente, son âge et le type de cancer dont elle est atteinte. La technique de base, c’est la congélation des embryons après une fécondation in vitro des ovocytes prélevés. Dans le cadre de cancer du sein, le traitement de stimulation des ovaires doit être associé aux inhibiteurs de l’aromatase, qui permet de récolter le même nombre d’ovocytes sans avoir d’augmentation du taux d’hormones.

L’augmentation des hormones est la conséquence des traitements classiques avant une FIV afin de recruter un maximum d’ovocytes, mais cet effet pourrait s’avérer néfaste en présence d’une tumeur sensible à ces hormones, car il augmenterait aussi l’activité de la tumeur.

Depuis peu, grâce à ces nouveaux protocoles, la récolte d’ovocytes avant la chimiothérapie est possible chez ces patientes. Ils seront congelés tels quels s’il n’y a pas de conjoint ou fécondés s’il y en a un. C’est une technique que l’on peut proposer jusqu’à 40 ans », explique le Docteur Isabelle Demeestere.

De nombreuses patientes font une, voire deux stimulations avant leur traitement de chimiothérapie pour stocker des ovocytes qu’elles pourront utiliser ensuite en vue d’obtenir une grossesse. La congélation d’ovocytes nécessite cependant un délai d’une petite quinzaine de jours minimum pour la stimulation.

« Pour d’autres patientes, nous conseillons la cryopréservation du tissu ovarien. C’est une technique plus lourde. Elle consiste à prélever un morceau d’ovaire par laparoscopie, sans ouvrir l’abdomen, on fait juste quelques petits trous. Puis, on le congèle en petits fragments, de sorte que le jour où la patiente désire un enfant, si le traitement a provoqué une ménopause précoce, on puisse le retransplanter et recréer des cycles naturels. C’est une technique qui a prouvé son efficacité. Plus de 30 enfants sont nés dans le monde selon cette procédure, dont une petite dizaine en Belgique. A Erasme, nous avons déjà connu trois naissances, et une grossesse est en cours.

Mais cette technique est encore très récente et donc considérée comme expérimentale.

 

Des réponses aux questions très pratiques

Ces techniques suscitent donc de nombreuses questions, toutes abordées dans le cadre du site « Family Hope », dont la création n’a été possible qu’avec le soutien des fonds Pink Ribbon et de la fondation Roi Baudouin. « Quelle technique de préservation de la fertilité faut-il choisir ? », « Faut-il conserver des embryons ou des ovocytes ? », « Qu’est-ce que la cryopréservation de tissu ovarien ? », « Jusqu’à quel âge telle technique est-elle possible ? » ne sont qu’un échantillon des multiples questions auxquelles répondent les concepteurs du site, tous des scientifiques d’excellence qui soignent des patientes placées dans cette situation … qui n’évitent aucune question pratique. Ainsi, on y trouvera que « comme l’administration d’une chimiothérapie pendant les trois premiers mois de grossesse augmente considérablement le risque de malformation et de fausse couche, toutes les femmes non enceintes en âge de procréer qui nécessitent un traitement par chimiothérapie doivent être informées de l’importance d’utiliser une contraception adéquate » …

Le site comprend aussi des parties spécifiques destinées au milieu médical, aux patientes, mais aussi à leurs proches. Avant d’envisager la maternité, les femmes ayant été victimes d’un cancer du sein doivent souvent respecter un délai de 2 à 5 ans, en fonction du traitement qui leur a été administré durant la maladie. Le risque de défaillance ovarienne précoce lié à ce traitement est très variable, il dépend de l’âge et du type de chimiothérapie reçue.

Les spécialistes en traitement de l’infertilité liée au traitement du cancer travaillent en lien direct avec leurs collègues oncologues. « Nous offrons évidemment une prise en charge en urgence, car la situation l’exige. Nous travaillons aussi beaucoup avec d’autres hôpitaux de notre réseau. Le prélèvement de tissu ovarien peut y être pratiqué mais le traitement du tissu en vue d’une congélation demande une expertise spécifique, acquise par quelques centres en Belgique.

Les  ovocytes et/ou tissu ovarien sont conservés dans la banque de la clinique de fertilité de l’hôpital Erasme », explique la spécialiste.

« Parler d’elles au futur, c’est envisager l’après-guérison »

Pourquoi a-t-il fallu se tourner vers les dons du privé pour mettre sur pied une telle initiative, pourtant strictement académique et non lucrative, rendant un service de qualité aux patientes et à leurs familles ?

« C’est souvent le cas aussi pour des recherches fondamentales », souligne la spécialiste. Au passage, soulignons que ces techniques ne sont pas remboursées par l’INAMI. Les centres de fertilité, s’ils demandent environ 750 euros pour les frais de traitement de stimulation, plus environ 500 euros de frais de laboratoire, travaillent pour le moment bien en dessous du coût réel de ces techniques. La fécondation in vitro qui sera nécessaire pour aboutir à une naissance (dans le cas de congélation d’ovocytes) est, elle, prise en charge …

« Ce qui est également intéressant, c’est que quand nous parlons à ces femmes de cette possibilité, nous leur parlons de leur avenir d’un enfant à venir. Elles sont souvent touchées par le fait que nous parlons d’elles au futur, en envisageant l’après-guérison. Comme elles sont souvent encore sous le choc de l’annonce de la maladie, cette vision d’une future vie revenue à la normale peut avoir un impact psychologique positif. C’est pour cela qu’il est important qu’on en parle au plus grand nombre. Même à celles dont les chances sont effectivement plus limitées ».

 

Extrait de LE SOIR PLUS du 21/10/2014