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« En Belgique, le dépistage ou mammotest est offert aux femmes de 50 à 69 ans.

Certains médecins sont favorables à la mammo- graphie dès 40 ans.
Arguments.

C’est une grande et « éternelle » question à laquelle les uns et les autres ont des réponses divergentes : à partir de quel âge et jusqu’à quel âge faudrait-il instaurer un dépistage systématique (gratuit) du cancer du sein et à quel intervalle devrait-il se faire ? Comme la plupart des pays européens, la Belgique a mis en place, en 2001, un programme de dépistage organisé gratuit. Le mammotest est ainsi offert à toutes les femmes de 50 à 69 ans, tous les deux ans.

Fort de sa pratique au sein de l’Institut Bordet, où quelques 600 nouveaux cas de cancers du sein sont diagnostiqués chaque année, le Pr Jean-Marie Nogaret soutient et partage, avec de nombreux confrères, une autre approche.

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Que pensez-vous du mammotest ?

La qualité de ce dépistage de masse n’est pas identique à celle d’un bilan sénologie complet individualisé. Pour le mammotest, les clichés sont réalisés par un technicien et sans écoute de la patiente. Or, ceci est important pour déterminer les risques. Les femmes connaissent leurs seins ; elles peuvent décrire une éventuelle modification.
L’examen clinique s’avère également essentiel de même que l’échographie, qui n’est pas prévue dans ce cadre. Or, si le sein est dense, l’interprétation sur simple mammo peut s’avérer compliquée. Des études ont montré que l’on risquait de passer à côté de 10 à 30% des cancers, lorsque le dépistage n’est pas complet. C’est énorme et cela rassure faussement les patientes auxquelles on a fixé rendez-vous deux ans plus tard et qui arrivent parfois chez nous avec des tumeurs à un stade déjà avancé. Cela dit, si le taux de détection du dépistage de masse est inférieur à celui du dépistage individualisé, le mammotest a néanmoins le mérite d’attirer des femmes qui ne se seraient jamais fait dépister chez un radiologue.

Quel serait dès lors le dépistage idéal ?

Comme beaucoup de radiologues et sénologues, je pense qu’il faut un dépistage complet, se composant d’un interrogatoire, un examen clinique, une mammographie et une échographie si le radiologue ou le sénologue le juge nécessaire parce que la mammo n’est pas suffisam-ment performante selon la spécificité du sein. Le coût réel d’un tel dépistage est évidemment supérieur et une partie des frais revient à la patiente.

A partir de quel âge faudrait-il le systématiser ?

C’est la grande question. Il faut savoir que la tranche d’âge 50-69 ans représente 50% de l’ensemble des cancers du sein, cela signifie qu’il y a 30% des cancers du sein avant 50 ans et 20% après 70 ans. Avec ce dépistage systématique gratuit entre 50 et 69 ans, on exclut donc déjà la moitié des femmes, ce qui est absurde. Le problème pour les jeunes femmes est qu’aucune étude randomisée n’a jusqu’ici prouvé que ce dépistage était efficace. Pour le savoir, il faudrait en lancer une maintenant, et voir à 10 ou 20 ans minimum s’il y a un impact sur la survie. On se base aujourd’hui sur des études qui datent d’il y a 20 ou 30 ans. Les radiologues de l’époque n’étaient pas expérimentés comme ils le sont à présent.
Les technologies évoluent tellement vite qu’il n’est pas possible de se baser sur des données d’un autre temps.
Commencer à faire des mammo- graphies à l’âge de 40 ans me paraît donc raisonnable.

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A quel intervalle ?

A partir de 40 ans, une fois par an, car le cancer évolue plus vite tant qu’il y a des hormones. Ensuite, on peut passer à un an et demi voire deux ans, pour les patientes plus âgées.

Et lorsque l’on avance l’argument que certains petits cancers ne vont pas évoluer …

Je trouve cela insensé. D’expérience, j’ai malheureusement quelques patients qui ont refusé tout traitement et qui voulaient unique-ment se faire soigner par des médecines parallèles. Cela a toujours mal tourné. Je n’ai jamais vu un cancer qui n’évolue pas.
Probablement qu’il y en a qui évo-luent plus lentement que d’autres, mais chez les jeunes femmes, les évolutions sont généralement plus rapides. Partir de la prémisse selon laquelle peut-être certains petits cancers n’évolueront pas est excessivement dangereux.
Certains estiment que l’on fait beaucoup d’examens complémentaires pour rien…
Un bon radiologue ou sénologue ne fait une biopsie que lorsqu’il pense que la lésion est vraiment suspecte. En plus, il s’agit de microbiopsies. Et je suis persuadé qu’il vaut mieux faire une biopsie de trop qu’une de trop peu…

Qu’en est-il des risques liés au rayonnement ?

Ce sont des doses très légères qui ne représentent pas grand-chose par rapport au rayonnement ambiant. Là aussi, les techniques ont fort évolué et, de nos jours, les risques sont infimes par rapport aux bénéfices que l’on peut en avoir.

Alors, quel dépistage pour les femmes âgées de plus de 69 ans ?

C’est un autre grand problème, en effet. On a tellement fait de campagnes pour le dépistage entre 50 et 69 ans que beaucoup de femmes pensent qu’au-delà de 69 ans, elles sont à l’abri de ces cancers.
Or l’incidence est exactement la même à 70, 80 ou 90 ans. Le risque reste aussi élevé et ces campagnes rassurent faussement ces femmes plus âgées. Or, j’en vois arriver régulièrement dans ma consultation avec de grosses tumeurs. Il s’agirait donc d’étendre le dépistage au-delà de 70 ans. »

Et qu’en est-il pour le mammotest ?

« Mammotest. Depuis le milieu des années 80, il existe un consensus européen sur l’utilité d’un programme de dépistage systématique par mammographie chez les femmes de 50 à 69 ans, pour autant que ce dépistage s’accompagne d’un dispositif d’assurance qualité. Comme la plupart de ses voisins, la Belgique a mis en place ce programme. Il propose tous les 2 ans un examen radiographique des seins (appelé mammographie de dépistage ou Mammotest) aux femmes entre 50 et 69 ans inclus, domiciliées en Belgique et affiliées à l’une des 7 mutualités du système de sécurité sociale belge. le coût de cet examen est pris en charge par l’Inami et par les entités fédérées. Ces examens, gratuits pour la patiente sont effectués dans des unités de mammographie agréées. Les clichés sont interprétés par un premier radiologue alors qu’une seconde lecture est réalisée par un deuxième radiologue pour diminuer les risques d’erreur.

Certains médecins estiment que ce dépistage de masse n’est pas optimal, notamment pour ce qui concerne le public visé, trop limité selon eux .
A la question « Pourquoi pas avant 50 ans ? », on peut lire sur le site www.lemammotest.be : « Avant 50 ans et après 69 ans, l’efficacité du dépistage du cancer du sein par mammographie n’a pas été démontrée en termes de réduction de la mortalité liée à ce cancer. Après 69 ans, les bénéfices du dépistage systématique dépendent de l’état général de la femme.
Cela ne signifie pas qu’avant 50 ans et après 70 ans, les femmes ne doivent pas bénéficier d’une mammographie de dépistage ; il revient au médecin traitant d’envisager avec elles l’opportunité d’une telle démarche ».

Pr J.M. Nogaret

Chef de clinique de chirurgie mammaire et pelvienne à l’Institut Jules Bordet à Bruxelles , responsable et coordinateur et pionnier de la première clinique du sein en Belgique