Cancer du sein : le point sur le dépistage

Trente pour cent des cancers du sein diagnostiqués en France surviennent avant l’âge de 50 ans, or le dépistage organisé promu par les autorités de santé démarre à 50 ans, au rythme d’une mammographie tous les deux ans. En attendant, chacune se fait prescrire – ou pas – individuellement cet examen du sein par son médecin traitant ou son gynécologue, sans la double lecture qui rattrape 10 % des cancers passés inaperçus, ni le remboursement à 100 % par la Sécurité sociale. La mammographie est une radiographie des deux seins réalisée debout, torse nu, sur un appareil spécialement conçu à cet effet. C’est un examen simple et rapide qui permet de détecter, avant même l’apparition des symptômes, des anomalies de petite taille dans les seins.

Pourquoi les autorités n’abaissent-elles pas l’âge du dépistage organisé ? En partie à cause d’anciennes études qui ne montraient aucun gain en matière de mortalité (mais ces études utilisaient des techniques bien moins performantes qu’aujourd’hui, et les écarts entre les mammographies étaient probablement trop importants). Et à cause du coût, naturellement. En termes de santé publique, la facture s’avérerait plutôt salée. De plus, à 40 ans, la proportion des femmes atteintes de cancer du sein étant tout de même moindre, la « rentabilité » du dépistage chuterait dramatiquement. Les opposants au dépistage organisé précoce se demandent aussi s’il est bien raisonnable d’imposer à toutes les femmes un examen entre 40 et 50 ans, alors que le nombre de celles réellement concernées serait nettement plus faible ? Deux spécialistes ici, et non des moindres, montent au créneau. Vingt-cinq femmes par jour meurent d’un cancer du sein, et dix d’entre elles auraient sans doute pu être guéries si elles avaient été dépistées à temps. Parmi elles, les femmes jeunes subissent des cancers plus agressifs. Le débat est ouvert.

L’avis du Professeur Marc Espié 

Directeur du Centre des maladies du sein de l’hôpital Saint-Louis, à Paris.

Aux Etats-Unis, la Société américaine de cancérologie recommande un dépistage individuel dès 40 ans, tous les ans. Des essais entrepris dans certains pays scandinaves montrent l’intérêt de mammographies au minimum tous les dix-huit mois, car les cancers de la femme jeune évoluent plus vite. Personnellement, j’opterais pour une mammographie de référence à partir de 40 ans et, en fonction des facteurs de risque, de l’effectuer tous les dix-huit mois jusqu’à 50 ans, puis de poursuivre le dépistage dans le cadre du dépistage organisé. L’échographie peut venir en appoint, elle est très utile en cas de seins denses et permet de corriger les faux négatifs (cancers qu’on ne voit pas à la mammographie). L’IRM est nécessaire en cas de nombreux antécédents familiaux de cancer du sein. C’est un examen qui montre beaucoup d’anomalies, mais parfois trop, et entraîne alors des biopsies pour rien. C’est pourquoi on ne la recommande en dépistage que lorsqu’il existe un risque très important de développer un cancer du sein.

« Faut-il imaginer un dépistage régulier encore plus jeune, dès 35 ans ? Je ne le pense pas, la mammographie génère des rayons X avec une certaine toxicité ; multiplier les irradiations à outrance générerait au contraire un certain nombre de cancers du sein. Plus on démarre jeune, plus le risque est important *. Voilà aussi pourquoi il est déconseillé de faire ces examens pendant la grossesse, sauf nécessité absolue. »

* Le risque spécifiquement lié à la mammographie et à l’irradiation des seins par le rayonnement est de 1 à 5 décès pour 100 000 femmes, à raison d’une mammographie tous les deux ans à partir de 50 ans. Si on commence à 40 ans, ce risque passe de 10 à 20 pour 100 000. (Source : Centre international de recherche sur le cancer, 2002.)

L’avis du professeur David Khayat

Chef du service de cancérologie à l’hôpital de La Pitié-Salpêtrière, à Paris.

Le cancer du sein n’est pas qu’une maladie de « vieilles », c’est une maladie qui touche toutes les femmes, y compris entre 40 et 50 ans. Plutôt qu’un dépistage organisé pour toutes au plan national à partir de 40 ans, je défends l’idée d’une prévention spécifique pour chacune en fonction de ses facteurs de risques. Si vous n’avez jamais eu d’enfants, si votre première grossesse a été tardive, si vous n’avez jamais allaité, si votre mère ou votre sœur a eu un cancer du sein, etc. ; alors oui, vous avez besoin d’une prévention particulière. Aux Etats-Unis, il existe des échelles de risques pour les femmes qui veulent entrer dans des essais de prévention.

Avec une volonté gouvernementale, des experts en France pourraient établir des échelles à la française qui permettraient de guider au mieux les femmes, en passant par la médecine du travail par exemple ou en recevant les informations de sensibilisation par l’Assurance maladie. Les femmes concernées pourraient pratiquer – selon leurs risques spécifiques et la densité de leur sein – soit une mammographie, soit une mammographie plus une échographie, soit une IRM, beaucoup plus fiable avant 50 ans (à cette période, la mammographie « laisse passer » deux cancers sur dix, et peut s’avérer faussement rassurante).

En outre, l’IRM présente l’avantage de ne pas être dangereuse du tout, puisqu’elle envoie un rayonnement électromagnétique. Certains spécialistes, dont je suis, recommandent une première mammographie à 35 ans, après les premières maternités. L’avantage serait déjà de dépister quelques rares cancers, mais aussi de sensibiliser les femmes à un suivi mammaire. Elles connaîtraient le chemin du radiologue, sauraient ce qu’est une mammographie et seraient dans l’idée d’une surveillance nécessaire des seins – un peu comme les femmes ont admis l’idée du frottis tous les ans ou tous les deux ans. »

Assiste-t-on à un rajeunissement des femmes atteintes ?

C’est en tout cas le sentiment de nombreux cancérologues, mais aucune étude ne l’a démontré scientifiquement. Est-ce dû au fait que les femmes sont aujourd’hui tellement sensibilisées qu’à la première alerte, elles courent à la mammographie ?

Peut-être, estime le cancérologue David Khayat : « Il y a encore dix ans, celles-ci se disaient : « Je suis trop jeune, il n’y a aucune raison que j’aie un cancer du sein. » Leur diagnostic était donc retardé de trois ou quatre ans. Mais grâce à l’affiche avec cette jeune et belle icône du dépistage organisé, beaucoup de femmes ont enfin reçu le message, elles ont été diagnostiquées plus tôt et mieux guéries, avec des cancers moins sévères qu’à l’époque. »

Il faut savoir qu’il y a vingt ans, la plupart des cancers examinés par les sénologues atteignaient 5 cm ; aujourd’hui, on est à moins de 2 cm. Et 90 % de ces cancers pris à temps sont guéris.

« Le dépistage reste indispensable » selon l’INCa

 

La polémique autour du dépistage organisé du cancer du sein a été relancée il y a quelques mois. En cause, le risque de surdiagnostic. Pr Norbert Ifrah, président de l’Institut national du cancer (INCa), a répondu à nos questions.

Par la rédaction d’Allodocteurs.fr

Rédigé le 08/11/2018

Un collectif d’associations a reproché à l’Inca de « mésinformer » les femmes sur le dépistage du cancer du sein. Que vous reproche-t-on exactement ?

Pr Norbert Ifrah, Président de l’INCa : « On nous reproche de promouvoir le dépistage organisé du cancer du sein. Le principal argument est celui du surdiagnostic, c’est-à-dire de tumeurs qui n’évolueraient pas. Il est discuté aussi l’existence de cancers « de l’intervalle », c’est-à-dire qui se développent entre deux mammographies, éloignées de deux ans et on met en avant aussi un risque d’irradiation correspondant aux mammographies. »

Le surdiagnostic est-il réellement un danger pour les femmes ?

Pr Norbert Ifrah, Président de l’INCa : « Il faut rappeler qu’il y a 58.000 nouveaux cas de cancers du sein par an en France et 12.000 femmes décèdent chaque année dans notre pays. Le dépistage tel que nous l’organisons, entre 50 et 74 ans, repère tous les cancers, y compris un petit pourcentage de cancers qui n’évolueraient pas. Mais aujourd’hui, il n’existe pas de moyens de repérer parmi ces « petits cancers du sein », les 80% qui vont évoluer et devenir métastatiques et les 10 ou 20% qui ne vont pas évoluer. C’est un énorme sujet de recherche, mais aujourd’hui, personne ne sait prédire cette évolution. »

Le dépistage reste-t-il indispensable ?

Pr Norbert Ifrah, Président de l’INCa : « Oui, il est indispensable parce que lorsqu’un cancer du sein est repéré par mammographie de dépistage, la femme a 99 chances sur 100 d’être vivante ou en rémission 5 ans plus tard alors que si ce cancer est diagnostiqué au stade métastatique, c’est 26 chances sur 100. La balance entre ce qu’on appelle le surdiagnostic et le risque mortel ou risque d’une chirurgie majeure que l’on évite à la femme est incomparable. Lorsqu’une tumeur est découverte au cours de ce dépistage organisé, une femme sur trois « seulement » sera soumise à la chimiothérapie contre plus d’une deux si c’est un diagnostic par d’autres moyens. Ça n’est pas rien !

Dépistage du cancer du sein : ces idées reçues

18h52, le 07 novembre 2018

Examen incontournable dans le dépistage du cancer du sein, la mammographie suscite encore de nombreuses idées reçues. Europe 1 démêle le vrai du faux.

Les détracteurs du dépistage organisé du cancer du sein sont « irresponsables ». Dans un entretien au journal Le Parisien, mardi, le président de l’Institut national du cancer (INCa), Norbert Ifrah, dénonce une campagne de dénigrement « surréaliste » se répandant sur les réseaux sociaux. Joint par Europe 1, son collègue Thierry Breton, directeur général de l’INCa, tient lui aussi à combattre les idées reçues sur la mammographie. L’enjeu est de taille : la participation au dépistage organisé est tombée en dessous de 50% en 2017, là où les recommandations européennes en préconisent 70%.

La mammographie présente plus de risques que de bénéfices

C’est faux, n’en déplaisent aux détracteurs du dépistage, qui estiment que les mammographies, jugées trop fréquentes (tous les deux ans, ndlr), présentent un risque de surdiagnostic. En clair, que de nombreuses femmes présentant une anomalie se font traiter pour retirer une petite tumeur alors que celle-ci aurait pu ne pas augmenter, voire régresser. Certes, les connaissances scientifiques actuelles ne permettent pas d’évaluer comment les cancers vont évoluer, mais une telle situation ne se produit que dans 10 à 20% des cas.

« Cela veut quand même dire que 80 à 90% des cancers détectés auront des conséquences. Et ces femmes-là seront prises en charge », insiste Thierry Breton, qui l’affirme : « Oui, le dépistage sauve des vies ! ».

Malgré le dépistage, le nombre de cancers ne baisse pas

C’est vrai, mais il n’augmente pas non plus. Lorsqu’on regarde les chiffres, on constate une augmentation très forte de la population des femmes françaises de 50 à 74 ans, celle-là même qui est correspond au programme de dépistage. « En 1992, elles étaient 7 millions. Fin 2012, 9,3 millions de femmes étaient concernées, soit 32% de plus », précise Thierry Breton. Le chercheur note par ailleurs « une diminution de la mortalité de 1,5% par an entre 2005 et 2012 ».

La mammographie est cancérigène

C’est vrai, mais le risque de développer un cancer radio-induit demeure très faible. « Si une femme suit strictement les recommandations de participation au programme de dépistage, elle fera 13 mammographies. Dans ce cas-là, son exposition au rayonnement ionisant représenterait le quart de celle provoquée par un scanner abdomino-pelvien, qui est lui un acte très courant » rassure encore Thierry Breton.

Il faut attendre 50 ans pour faire une mammographie

C’est faux. Il n’est absolument pas interdit de se faire dépister avant, surtout s’il existe des antécédents familiaux ou des comportements à risque, comme la consommation d’alcool régulière par exemple. Certes, plus le cancer est détecté tôt, plus les chances de guérir sont grandes : le taux de survie est ainsi de 99% à cinq ans lorsqu’il est détecté à un stade précoce contre 26% lorsqu’il est détecté à un stade avancé. Mais pour l’instant, explique le directeur général de l’INCa, « il n’y a pas de justification scientifique à faire en sorte que toutes les femmes à partir de 40 ans réalisent une mammographie ». Environ 80 % des tumeurs malignes surviennent en effet après 50 ans.

L’auto-dépistage suffit pour détecter un cancer

C’est faux. L’autopalpation peut être utile en complément d’un examen médical, mais ne suffit jamais à détecter une éventuelle tumeur. En cas de doute, il est bien sûr recommandé de consulter, et de se faire dépister. Mais la présence d’une boule dans le sein n’est pas forcément synonyme de cancer. « De même, s’il n’y a pas d’évolution visuelle sur votre poitrine, il peut y avoir un cancer qui est en train de se développer », rappelle l’expert.

Aujourd’hui, le cancer du sein reste le cancer le plus fréquent et le plus mortel chez les femmes : 59.000 nouveaux cas et près de 12.000 décès sont recensés chaque année en France. La mammographie, qui ne présente aucun caractère obligatoire, est quant à elle totalement gratuite pour les femmes de 50 à 74 ans.

Cancer du sein : les détracteurs du dépistage sont « irresponsables »

Norbert Ifrah, le président de l’Institut national du cancer (Inca), dénonce la campagne de dénigrement organisé sur les réseaux sociaux contre le dépistage du cancer du sein. 

Les détracteurs du dépistage organisé du cancer du sein sont « irresponsables », accuse Norbert Ifrah, le président de l’Institut national du cancer (Inca), qui, dans une interview au Parisien à paraître mercredi, s’alarme du recul du suivi des femmes. La participation au dépistage organisé baisse depuis quelques années, tombant même en dessous de 50% en 2017. « On a perdu 2% de participation en deux ans et nous sommes loin des recommandations européennes qui en préconisent 70% », souligne le Pr Ifrah.

« Une campagne de dénigrement surréaliste ». « Qu’un débat scientifique existe sur les limites du dépistage, c’est sain. Mais on assiste en France à une campagne de dénigrement surréaliste, notamment sur les réseaux sociaux. Ses détracteurs, peu nombreux mais très actifs, sont irresponsables », estime-t-il. Les anti-dépistage évoquent notamment le fait que le dépistage peut détecter des lésions qui n’auraient pas forcément évolué en cancer (surdiagnostic).

« Mais 80% vont évoluer, d’où la nécessité d’un suivi régulier », répond le président de l’Inca. « Je ne dis pas qu’il y a zéro opération inutile, mais elles sont très peu nombreuses. En revanche, on sait qu’avec le dépistage organisé, on épargne à près de 12% des femmes une chirurgie lourde et qu’un tiers ‘seulement’ auront une chimiothérapie contre plus de la moitié hors dépistage. »

« Le dépistage permet d’éviter entre 15 et 20% de décès. » « D’après les études mondiales, le dépistage permet d’éviter entre 15 et 20% de décès », ajoute le responsable. « C’est pour cela que lire sur les réseaux qu’il existerait de faux cancers me sidère. Ce terme, catastrophique, est nuisible », dit-il encore, évoquant le risque « que des informations erronées n’écartent des femmes, souvent les plus à risques et les plus précaires, du système de soins, et que des cancers soient traités plus tardivement ».

Le cancer du sein reste le cancer le plus fréquent et le plus mortel chez la femme : 59.000 nouveau cas par an et près de 12.000 décès en France. Le taux de survie est de 99% à 5 ans lorsqu’il est détecté à un stade précoce contre 26% lorsqu’il est détecté à un stade avancé.